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Valérie Kim-Ngâm est une artiste peintre née en juillet 1961. Son œuvre étrange produit sur moi un puissant effet.  D’abord, un réel effet de surprise, un étonnement.  On se sent retenu par la signature de l’œuvre, son esprit. Par l’abord et la manière. L’œuvre avance en retenue. Il n’est pas ici question de faire un éloge esthète du corps, pas question de le célébrer dans les splendeurs sensuelles de sa forme. Ce n’est pas un désir de séduction qui opère.  Ni de rejet, de dépréciation, ni de négation. Dans l’univers de Luong, il y a une rencontre rassérénante et assez inédite entre une quête mystique et une perception anatomique de l’être. Il y a une approche sensible du corps, avec ses blessures, orné, paré de ses blessures pourrait-on dire, une considération du corps en tant que substance et du corps au-delà de l’objet, du corps comme essence, comme lieu poétique. Luong peint le corps de neige, de lait, de chaux, le corps de fragile opale, le corps au sang répandu, le corps empourpré, le corps qui cherche une conscience de soi, une appréhension de son intériorité. Luong oscille habilement entre calcaire et diaphanéité de l’être. Blancheur et coulées pourpres. Luong révèle le corps aussi comme vivifié par une sorte de stigmate, de signe d’une vie en action, le corps comme volcan actif. L’œuvre vit le corps comme fragilité à protéger, comme œuvre d’art en péril, œuvre menacée. Corps de neige, de verre opaque, corps de sang. Le corps eucharistique, sous les deux espèces.

La fragmentation du corps en petits exvotos (bras, épaule, coude, bouche, jambe, torse) n’est pas une dissémination, c’est au contraire, dirait-on, une valorisation de chacune des parties du tout, une sorte de blason mystique doublé d’une prospection anatomique. L’être se souvient de soi, membre par membre, os par os, physiquement, il prend possession de soi par le détail, il se tâte, il se redécouvre, se recompose, se reconstitue.  Il revient à ses fondamentaux. Le corps procède à un état de ses lieux. Il scrute son objet avant d’être davantage qu’un objet. Il se perçoit dans sa pesanteur avant d’entrer en apesanteur. Il scrute son insoutenable légèreté. Et ces membres, ces objets anatomiques prient, remercient, célèbrent la vie, ces tissus et ces organes accèdent à la dimension de sacré. L’art de Luong est subtil et patient, intègre, complexe. Son lieu, centré souvent sur le détail, est pourtant le refus de l’étroit, son lieu est le large spectre. Son lieu est terrestre et aérien. Cet art de la loupe voit l’immense. Il me semble aussi que Luong dit avec ce que nous avons perdu de vue (nos organes, nos tissus, nos membres, nos plaies) l’invisible de l’être, le désir de sublimation de l’être.  

Ce mouvement double de réintégration du corps et d’élévation est captivant. C’est un mouvement lent aussi, prudent, douloureux, fragile qui donne à la dimension mystique à laquelle il aspire une sorte d’aura humaine. La chair prie sans se renier en tant que chair, sans oublier sa matérialité. Il y a là une voie spirituelle singulière qui me touche, une quête sensible et poétique qui me plaît. Il y a une réflexion sur l’existence, thème qui me passionne pour l’instant. A la fois être, être là et sortir de, s’extraire, se manifester. Luong sonde, me semble-t-il, cette coexistence fascinante et assumée entre l’enveloppe et la volatilité. La peinture de Luong dit une sorte d’assomption, d’accord de l’être avec ses différentes dimensions.

Dans ce temps de vide spirituel, de béance spirituelle, ce temps de destruction et de néant déflagrant, j’aime cet art qui réapprovisionne le corps en sacré. Je le regarde comme précieux.

 

Denys-Louis Colaux.Ecrivain poête.

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